Je suis née au Gabon en 1973.
Mes premières années de vie furent merveilleuses, auprès de mon arrière-grand-mère maternelle et de sa fille.
La vie se faisait dans la joie et le partage dans le village.
L'ambiance était chaleureuse, malgré une vie simple, sans électricité, ni eau. La rivière était notre baignoire, la pluie torrentielle, notre douche.
La culture et la pêche suffisaient à notre bonheur.
Les odeurs me reviennent, le feu de bois pour les repas, l'humidité du matin s'évaporant de la verte forêt, les fleurs, les fruits...
La vie devait être trop simple.
A l'âge de 7 ans, après avoir subie les foudres d'un adulte qui avait la main légère, je me suis réveillée sourde, ne sachant même plus lire.
L'école était donc terminée pour moi. Mon avenir semblait tracé. Je serai une femme de village, dont les seules tâches consisteront à apporter le bien-être d'un mari.
C'était sans compter sur le soutien et l'amour sans bornes de mon arrière-grand-mère.
La vie m'offre alors un second départ, à l'aube de mes 9 ans.
Ma mère décida de me confier à mon père, étudiant et travaillant en France, non loin de la capitale. Je rejoignis donc un père que je découvrais, avec son épouse et leurs deux enfants.
Je me reconstruisis à leurs côtés, réapprenant à lire et à écrire, puis commençai un réel parcours du combattant avec la scolarité. Je passais des écoles pour entendants (souvent sans interprète), aux instituts pour déficients auditifs (m'initiant à la langue des signes français et à la lecture labiale). Chez les uns, mon niveau plus élevé me contraignait à sauter des classes, chez les autres, ne pouvant pas suivre les dires des instituteurs (notamment lorsqu'ils me tournaient le dos), je me voyais être rétrogradée.
Entre deux mondes
La vie me fit découvrir deux mondes : celui des sourds et celui des entendants.
Je m'épanouissais tant bien que mal dans les deux, et je ressentais le besoin d'avoir un pied dans chacun d'entre eux.
Mon regard s'aiguisa alors, étant mon seul capteur vers le monde qui m'entoure. Il me sert à communiquer, en parallèle avec mes mains, et remplace mes oreilles depuis qu'elles décidèrent de cesser de fonctionner.
Ce regard me fit regretter mon enfance heureuse au village. La famille se tiraillait, l'entraide s’amenuisait jour après jour, faisant place à l'individualisme. Je m'isolai, me refermant dans ma situation. Sûrement était-ce mon destin?
NON! J'eus le sentiment que ma défunte arrière-grand-mère me guide et me soutient toujours. Je décidai de ne jamais baisser les bras, et de réaliser mes rêves.
La vie me transporta en Bretagne en 1996. Après la région parisienne, puis mon adolescence à Orléans entrecoupée de séjour au Gabon, à Romorantin, à Tours, et à différents autres endroits, me voilà débarquant en Bretagne, à Brest. J'avais alors 22 ans, et j'avais décidé de tout quitter, de tout laisser derrière moi, sans me retourner.
La vie me fit rencontrer l'homme qui deviendra mon mari et le père de mes 5 enfants.
En 6 ans, à Brest puis à Plouguerneau, j'ai fait des études m'amenant jusqu'à l'université; j'ai reconstruis tout ce qui avait été brisé en moi et j'ai pris mon destin en main.
Nous quittâmes le Nord-Finistère pour rejoindre Lorient, puis 3 ans plus tard, le Sud-Finistère.
Ma liberté d'esprit me permit enfin de mettre sur toiles, ou sur papier, mes créations.
La vie me permet de publier mon premier roman intitulé "Ma troublante rencontre avec un sourd" en septembre 2012.
Les odeurs de mon enfance me rattrapent, les images de mes ancêtres se font plus claires à mon esprit. Je pense à mon village, où ma grand-mère maternelle vit à présent, avec l'électricité et l'eau courante. La rivière où je me lavais, où je nageais, où je lavais le linge, a perdu de son lit.
"Goude mà vezer skuizh ec'h aer c'hoazh pell"
Après être fatigué on va encore loin